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ce journal - tenu par moi Antoine Bapaume vous propose une gamme complète de textes |
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1999 |
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Deux jours, et je me sens déjà faillir sous le poids des patates. Quand je pense que certains se plaignent d'avoir un boulot de con, c'est à en pleurer. Aujourd'hui,
événement rare, c'est l'anniversaire d'un adjudant.
Alors c'est un jour assez exceptionnel, où je peux enfin
donner libre cours à mon pouvoir créatif, à
ma sensibilité. Finie la purée quotidienne ! Ce
soir on mange des frites, donc après avoir épluché
les patates, on m'a donné ordre de les couper !
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1999 |
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Personne ne
semble se rendre compte du travail que je fournis. Ce matin encore
on m'a engueulé car il restait des pointes de germes sur
les patates. Alors, j'ai
bombé le torse, la tête haute et fière, et
je suis reparti sans mot dire vers mes patates, épongeant
alors les larmes naissantes aux coins de mes yeux avec le torchon.
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1999 |
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Rien ne va
plus. Ce qui manque le plus à l'armée, c'est les
femmes. "Les poules", comme le disent ici les militaires. Et hier j'ai
fantasmé. J'ai eu honte. Enfin, quoi qu'il en soit, lorsque j'ai tenu entre mes mains cette patate (là je parle de la pomme de terre, pas de ma voisine), j'ai ressenti un vif frisson de plaisir parcourir mon échine. J'ai pensé à Chantal effectivement, dont les rondeurs surgissaient au plus profond de mon esprit, imitant les formes de la patate. Et j'ai caressé de longues minutes cette pomme de terre, mon doigt à peine humide glissant et virevoltant en tout creux de son anatomie (la patate, pas Chantal bien sûr). Et ce qui devait arriver arriva, en pleine extase, le sergent chef est entré, j'ai hurlé de plaisir ! La voix du sergent chef ressemble à s'y méprendre à celle de Chantal ! Le sergent a pas apprécié, je suis consigné 3 jour dans mes quartiers. Quel crétin ! Trois jours à échapper aux patates ! Le rêve ! |
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Je ris sous
cape... depuis un jour, je n'épluche plus de pommes de
terre, fini ! J'étais écoeuré. Et c'était
intenable, à chaque fois que mon couteau s'enfonçait
dans leur chair, ou écorchait leur peau, un sifflement
aigu étourdissait mes oreilles, comme une petite voix
stridente m'implorant "Mais pourquoi Tonio, pourquoi nous
tues-tu ?". Et en plus les patates sont pas polies :o(. Mais je les comprends, pourquoi tant de haine, pourquoi les assassiner, les mettre à mort en les torturant avec un couteau, puis les jeter dans l'eau bouillante, ou l'huile non moins bouillante, hachées, tronçonnées, réduites en carrés ou rectangles, en chips, pourquoi tant de haine ??? L'écho de ces petites voix m'a torturé 10 jours de suite. Et nerveusement j'ai craqué, je n'ai pas pu en toucher une, pas une de plus... Pire, j'ai résolu... de fuir mon service militaire, et d'emporter avec moi le reste des patates, afin de leur rendre leur liberté. Je viens de trouver un nouveau but, ma vie prend un sens auquel je n'aurais jamais pensé. Je vais fonder une association anti végétarien ! Ils me répugnent à tuer tous les végétaux. Ah c'est sûr, ces idiots sont trop sourds pour entendre la plainte des végétaux, leurs cris de douleur, c'est la bonne excuse pour les manger sans états d'âme ! Et le sang qui coule n'est pas rouge, alors ça les effraie pas. Je hais les végétariens. Mais pour l'instant... je dois songer à m'échapper... |
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Le 13 février 1999, Antoine Bapaume a été retrouvé mort six mètres plus bas, gisant sur le trottoir, un sac de pommes de terre dans les bras. Le Ministère français de la défense nie toute implication dans cet homicide. Ainsi que les associations privilégiant les végétariens. Antoine est mort, laissant devant lui un avenir assombri, ou tout un pan de la vie sur Terre continuera à souffrir, les végétaux. Puisse ce journal réveiller au coeur du lectorat la part de tendresse que l'on se doit d'octroyer aux patates. A notre connaissance, Chantal aurait fondé ces jours derniers (en mai 99) la Ligue pour la Survie des Patates, dont elle est la digne présidente et représentante. |
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